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Combat de cotes : pour ou contre les cotes de rendements

Combat de cotes : pour ou contre les cotes de rendements

Nous, on veut enlever les cotes de rendement.

C’est désuet, et puis ça met des étiquettes aux employés…

… nous disent certains clients de plus en plus nombreux, avec les évaluations de rendement annuelles mises à mal ces dernières années.

La vérité est que nous devons développer les talents, les rémunérer, les outiller, et souvent les budgets sont limités et les gestionnaires forcés de faire des choix.

Mais qu’est-ce qu’une cote de rendement ? Commençons un combat de cotes: Pour ou Contre les cotes de rendement ?

Nous vous présentons la discussion entre Sandra Houillier, PMP, CRHP et Édith Boyer, Ph.D animée par Julie Tardif lors de Évènements Les affaires en mars dernier :

 

Julie :

Les cotes de rendement et les évaluations annuelles sont ouvertement critiquées depuis quelques années. Certaines organisations les maintiennent tandis que d’autres les abandonnent.

Pour ou contre les évaluations conduites annuellement ?

Ici pour les besoins du jeu de « combat » les 2 panélistes se positionnent sans équivoque : Pour ou Contre. Une réponse très courte pour une question fermée. Pas de nuance dans votre « vote » car vos réponses seront déjà nuancées 😊

Donc à la Ville de Montréal, vous avez conservé les évaluations annuelles. Quels sont les motifs de ce choix et les bénéfices observés ?

Édith :

D’abord, la Ville de Montréal c’est 28 000 employés, répartis dans 19 arrondissements, 25 services centraux. Des besoins et réalités totalement différentes (Policiers vs service de l’eau, TI vs Travaux publics), un contexte et une structure de gouvernance propres au monde municipal.

La nouvelle approche de gestion de performance déployée en 2022, Points de rencontre, dont je vais vous parler aujourd’hui, s’applique aux cadres de la Ville, près de 2000 personnes.

OUI, à la Ville, c’est important que chaque cadre fasse son bilan, avec son gestionnaire, au moins annuellement.

POURQUOI?

  1. Parce que les cotes de performance sont des repères communs et connus: elles amènent de la rigueur et de l’équité
  2. Parce que ça fait partie des pratiques nécessaires à une saine gestion des fonds publics
  3. Parce que c’est le début de quelque chose et non la fin; c’est un intrant important pour orienter les prochaines actions sur le plan individuel (développement) et collectif (gestion de talent)

QUANT AUX BÉNÉFICES OBSERVÉS?

Lorsque j’entends, après un premier exercice, un cadre de direction dire: “la matrice, c’est devenue ma meilleure amie”, je pense que ces repères communs et connus, même imparfaits, sont clairement utiles.

Julie :

Chez Deloitte, vous avez procédé à une refonte complète du programme d’évaluation et toute la sphère RH en a entendu parler. Pouvons-nous connaitre la nature de ces travaux de refonte ?

Sandra :
  1. Il y a une dizaine d’années, les entreprises, particulièrement dans la silicon valley (Adobe etc.) ont commencé à s’interroger sur le processus : lourdeur administrative, pas de valeur en dehors de la conformité, perte de temps pour gestionnaires et employés, courbe normale sur laquelle on forçait les cotes de rendement – même en étant excellent un employé n’était pas forcément avantagé à cause de la courbe normale; par ailleurs en mode projet la création d’objectifs annuels est parfois compromise dans son exécution
  2. Chez Deloitte, on a décidé de travailler avec Markus Buckingham pour revoir la façon de penser la gestion de performance, dans un contexte où la majorité de nos employés sont en mode projet
  3. Les grands axes de cette refonte ont été :
    1. Abolition des 4 cotes et des formulaires de rendement à remplir manuellement (texte)
    2. Création d’un système maison permettant la gestion de la performance agile, axée sur les données, multi sources : évaluations rapides de rendement (snapshots), check in réguliers, sondages etc – je reviendrai sur ce système qui est la pierre d’angle de notre approche

Maintien de la structure RH et de gestion de carrière plus traditionnelle : coach de carrière pour tous, encadrement RH lors des tables rondes de talent, calibrage RH

Julie :

Très bien. Et à quoi ressemble la finalité de l’entretien ? Utilisez-vous un système de classement de la performance ? En fait, ce que je veux vous demander, c’est :

Êtes-vous Pour ou Contre les cotes de rendement ?

Ici on se positionne clairement : Pour ou Contre. Une réponse très courte pour une question fermée. Idéalement pas de nuance dans le « vote » car vos réponses seront déjà nuancées 😊

Et qu’est-ce qu’une cote de rendement ? Donc chez Deloitte vous avez retiré les cotes. Comment clôturez-vous l’évaluation de la performance maintenant ? Comment liez-vous la progression salariale à la performance ?

Sandra :

Notre système maison permet la gestion de la performance agile et basée sur les données, multi sources multi niveau :

  1. Chaque évaluation de performance (projet ou autre implication) demande à l’évaluateur 4 questions clés (boutons radios): évaluation de la satisfaction quant au travail (1 à 5); s’il reprendrait cette personne dans son projet futur (1 à 5); s’il est en risque de non performance (oui non); s’il performe au prochain niveau
  2. Toutes les évaluations multi sources sont additionnées et les 2 premières questions sont la base d’un nuage de points où l’on peut comparer de façon ultra précise chaque employé et ses pairs à travers l’ensemble de l’organisation. Est-ce qu’on peut dire qu’on a remplacé 4 cotes par 50 cotes (1,1; 1,2, 1;3 etc.) ? Peut être !
  3. Les 2 dernières questions sont la base des discussions sur les extrêmes durant les tables rondes de talent

Les conversations de performance et salariale sont dissociées. Les échelles salariales sont très claires et le bonus est discrétionnaire, basé sur des cibles et une enveloppe que gère les leaders séniors de la firme. RH s’assure de calibrer les propositions d’augmentations et bonus pour l’équité interne

Julie :

Et à la Ville de Montréal, vous avez conservé les cotes. Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment elles sont utilisées, les dernières modifications apportées à votre système, et les impacts observés?

Édith :

Le virage que la Ville a entamé au plan de la gestion de la performance de ses cadres a débuté par une vaste consultation de gestionnaires (105) de tous les niveaux hiérarchiques et de tous les environnements. C’était un certain défi mais c’était pour la Ville nécessaire d’arriver à une approche transversale.

C’est ce qui nous a donné un langage commun et qui va permettre de créer des ponts entre nos réalités si diverses.

Si on veut que nos gens évoluent au sein de la Ville, ça prend des alignements et des bases communes, ça prend des repères communs. On doit être capable de comparer la performance de gestionnaires provenant d’environnements différents mais qui appartiennent à la même organisation/Ville. C’est là la richesse de notre approche.

On devait savoir si on avait 1 identité de leader commune ou autant de leaders que d’environnements. La consultation qui nous a permis notamment de se donner 1 Portrait de leaders: 4 caractéristiques unanimes qui sont maintenant considérées dans la définition de ce qu’est un gestionnaire performant à la Ville: Bienveillant, Déterminé, Agile, Rassembleur. L’introduction des comportements de leaders dans la définition et l’appréciation de la performance de nos gestionnaires est l’élément central de notre virage.

Concrètement,

on positionne la performance au regard de 2 axes: on continue de considérer les réalisations des cadres (livrables, résultats) mais maintenant, leurs comportements de leaders (Portrait de leaders) ont autant de poids dans leur performance globale. Cela forme une matrice de performance (3×3), qui donne 9 nuances de performance.

Les gestionnaires nous ont dit qu’ils souhaitaient que le dépassement soit davantage mis en lumière: on a 2 niveaux performance remarquables et 1 exceptionnel.

À l’opposé, notre consultation a révélé l’importance de gérer la non performance. On a donc ajouté une 10e case, accrochée mais à l’extérieur de la matrice, qui lance un message clair quant à l’importance et les stratégies spécifiques qui doivent être mises de l’avant pour gérer la non performance.

Maintenant, on ne prétend pas que ce système soit parfait;  il a été conçu avec peu de moyens. Notre formulaire (Journal de performance) est un formulaire maison, développé sur google sheet, équivalent d’Excel. Nos “cotes”, les mots choisis, ne sont pas les bons pour tout le monde. Le fameux “pleinement satisfaisant” ne sera jamais assez fort. Gérer, évaluer la performance, ce n’est pas la tasse de thé de tout le monde!  C’est un virage qui doit s’enraciner, il y a encore du travail d’habilitation à faire afin que les POINTS DE RENCONTRE, s’effectuent davantage en continu. On n’est qu’à l’année 2. On fait actuellement un post-mortem pour cibler des actions afin de le rendre davantage utile pour nos gestionnaires (évaluateurs ou évalués).

Par contre, il a été conçu avec notre monde. Et ce qu’on nous dit:

  • c’est qu’il répond davantage aux besoins de souplesse exprimés sur le terrain
  • L’auto-appréciation qui est maintenant formalisée, amène son lot de défis, mais c’est un pas qui permet à chacun de s’approprier la gestion de SA performance et qui permet des échanges d’égal à égal avec le gestionnaire.

La gestion de performance est un outil puissant pour faire arriver les choses; à la Ville, on a décidé de s’en servir pas juste pour faire arriver des résultats mais aussi pour communiquer ce qui est attendu de nos leaders d’aujourd’hui et de demain.

Réflexion plus fondamentale que j’aimerais partager, si possible, dans ce panel.

Dans ce contexte post-pandémique, toujours plus VICA, je constate que viser le dépassement, l’excellence, être meilleur et même déployer son plein potentiel n’ont plus la même résonance dans nos contextes de travail. Et je pense que ça s’explique et se comprend. Pour “redorer le blason” de la gestion de la performance, je pense que l’on devra réfléchir et peut-être repositionner nos programmes de gestion de la performance pour qu’ils riment davantage avec s’épanouir que s’épuiser.

  

Biographies

Julie Tardif, CRHA

Cofondatrice et Associée

ICEBERG MANAGEMENT

Diplômée en communication, en administration des affaires, certifiée ceinture verte en Lean Management par le Mouvement québécois de la qualité et membre de l’Ordre des CRHA, Julie Tardif a cofondé Iceberg Management avec son associée et se spécialise en gestion des ressources humaines depuis plus de 15 ans.

 

Sandra Houillier, PMP, CRHP

Associée, Capital humain

DELOITTE

Sandra Houillier est associée chez Deloitte à Montréal, spécialisée en transformation organisationnelle et ressources humaines dans de multiples secteurs. Elle se passionne pour les tendances qui poussent les organisations à innover et changer la donne en matière de futur du travail, des travailleurs et des environnements de travail.

 

 

Édith Boyer, Ph.D.

Conseillère principale, Division Stratégies et projets RH

Service des ressources humaines

VILLE DE MONTRÉAL

Titulaire d’un doctorat en psychologie organisationnelle, leader d’expertise et cheffe de projet en grande entreprise, Édith Boyer a su faire de la gestion de la performance sa démarche de prédilection pour soutenir l’évolution des personnes et concrétiser les ambitions organisationnelles. Créer, simplifier, toucher; c’est ce qui l’anime au quotidien et lui permet de faire une différence.